Publié le 06-03-2018

Chamseddine Marzoug, l’homme qui donne une sépulture aux migrants morts en mer

Avec une pelle pour seul outil, Chamseddine Marzoug s'est fixé une mission: enterrer "dignement" les migrants morts au large de la Tunisie en tentant de rejoindre l'Europe.



Chamseddine Marzoug, l’homme qui donne une sépulture aux migrants morts en mer

Lunettes noires et chapeau sur la tête pour se protéger de la canicule, le quinquagénaire contemple le bout de terre aride où il vient de creuser deux nouvelles tombes à Errouis, près de Zarzis (sud), non loin de la Libye, d'où partent de nombreux bateaux chargés de personnes en quête d'un avenir meilleur.

"Ce n'est pas parce qu'elles ont participé à une traversée illégale, poussées par la misère et l'injustice, qu'elles ne méritent pas d'être enterrées avec respect et dignité", explique à l'AFP M. Marzoug.

Cet ancien pêcheur aujourd'hui au chômage, qui a aussi travaillé comme chauffeur pour le Croissant-Rouge, dit avoir enterré des centaines de migrants en 12 ans.

A Zarzis, les pêcheurs sont en première ligne pour secourir les migrants en détresse ou pour repêcher les dépouilles de ceux dont le rêve d'Europe s'est transformé en tragédie.

Selon des chiffres officiels, 126 personnes de diverses nationalités ont été secourues au large de Zarzis depuis début 2017, et 44 dépouilles récupérées. Soit une petite fraction des plus de 2.000 personnes qui, d'après l'Organisation internationale pour les migrations, ont péri cette année en tentant la traversée de la Méditerranée depuis la Libye vers l'Italie.

Ce sont généralement les marins qui repèrent les embarcations en difficulté et les signalent aux autorités. Mais souvent, ils leur portent eux-mêmes secours.

La Garde maritime secourt régulièrement des embarcations en détresse. Mais enterrer les morts n'est pas de son ressort, et les autorités locales disent ne pas en avoir les moyens.

"Les unités de la Garde nationale maritime ne sont pas des unités de sauvetage et ne sont pas équipées pour repêcher les cadavres. Avec nos moyens très limités, nos agents font le maximum pour sauver les gens, mais l'enterrement des morts n'entre pas dans nos fonctions", assure à l'AFP Sami Saleh, chef des opérations maritimes à Zarzis.

Et dans cette région frontalière d'une Libye en plein chaos, c'est la sécurité qui prime, selon M. Saleh: "Nous devons vérifier si à bord des embarcations de migrants, il n'y a pas de personne suspecte, d'armes ou d'explosifs".

D'après le président du bureau régional du Croissant-Rouge, il y a en outre "un problème de cimetière" à Zarzis.

Non seulement ce dernier est "plein" mais en plus, "les gens, quelle que soit leur religion, musulmane ou juive, n’acceptent pas d'enterrer des inconnus" dans leurs carrés familiaux, affirme Mongi Slim.

C'est donc loin des maisons et près d'une décharge que Chamseddine Marzoug a obtenu l'accord de la municipalité pour installer un petit cimetière improvisé, un terrain de sable et de pierres parsemé de tombes sans nom ni date.

Un sac mortuaire noir repose encore à côté d'une sépulture. Non loin, gisent des bouteilles en plastique vides et des ordures.

M. Marzoug, dont le fils a lui-même illégalement émigré en Italie, se souvient de chaque dépouille qu'il a enterrée.

Ici, montre-t-il, gisent deux enfants d'environ quatre et cinq ans. Là repose une femme retrouvée sans tête et là-bas un homme sans bras.

"Les images des corps, surtout en décomposition, sont gravées dans ma tête. Ce n'est pas facile", dit sobrement M. Marzoug.

Mais "il faut les considérer comme nos enfants, nos frères ou nos sœurs", enchaîne l'ancien pêcheur. "Cette affaire ne concerne pas que la Tunisie, elle touche toute l'humanité".

C'est pour cela qu'il réclame un "vrai" cimetière pour les migrants.

"Je m'adresse au monde pour lui demander de nous fournir un cimetière convenable, qui nous permette d'enterrer les migrants correctement avec une petite chambre pour laver les corps et un moyen pour les transporter", dit-il.

Car même le Croissant-Rouge ne dispose pas de véhicule approprié pour "transporter les corps de la plage vers l’hôpital", selon Mongi Slim.

Mais l'organisation est "à la recherche d’un terrain à acheter" pour y enterrer les migrants, ajoute le responsable. "Nous allons lancer un appel aux dons, y compris au niveau international (...), et nous nous engageons à les enterrer dignement".


AFP

Dans la même catégorie