Publié le 06-03-2018

Harissa en moderato cantabile

Durant les derniers mois le tourisme tunisien s’est prêté à son énième check up, d’éminents spécialistes se sont penchés sur son cas pour aboutir à un diagnostic simple: « viellissement ». Beaucoup ont suggéré un bon lifting et une nouvelle garde robe pour pouvoir séduire une clientèle avide de nouveautés. Mais en examinant le tourisme, en dehors des secteurs parents et alliés, cette analyse n’aurait-elle pas omis un acteur essentiel, le Tunisien ?



Harissa en moderato cantabile

Autrefois, la Tunisie vendait l’image d’un « pays ami », bon enfant et ensoleillé. Ceux qui le visitaient n’étaient pas en terra incognita, ils retrouvaient des références communes qui leur permettaient d’apprécier d’autant plus l’exotisme des traditions, des plages et de l’harissa. Aujourd’hui, cette image ne tient plus la route car le tunisien a changé; il a tourné le dos à son appartenance méditerranéenne pour s’attacher à son arabité en préférant la chawarma au casse croûte au thon. Revirement inattendu puisque les Tunisiens sont d’abord héritiers d’un brassage millénaire de communautés qui leur ont conféré ouverture, culture et charme. Si le Tunisien s’est souvent interrogé sur son identité, son appartenance arabe a des racines historiquement récentes et essentiellement consolidées par les clichés véhiculés par les chaînes satellitaires du Moyen Orient. Ainsi, le Tunisien navigue à vue ; entre prêchi-prêcha des cheikhs, starlettes botoxées libanaises et les buzzs sur internet,  il se compose un univers à la carte tout en paradoxes.

Chacun y va de son approche, fluctuante au gré des tendances et des convictions avec en première conséquence visible une anarchie esthétique. L’environnement  se teinte de couleurs indéfinissables où on peine à retrouver le bleu et le blanc, grande marque du pays. Si l’étal du marchand de figues de barbarie est toujours pittoresque, aujourd’hui, les marchands des gadgets chinois sont moins glamour. La gabegie de la circulation en ville rappelle certes celle du Caire mais se rendre au centre de Tunis, Sfax ou Bizerte relève de l’épreuve de force. L’impossibilité de circuler est accompagnée de celle de se garer puisque cafés, boutiques, restaurants et même la plus petite des échoppes s’approprient la chaussée en y déposant des bidons ou des chaises pour marquer un territoire qui ne leur appartient pas. Les rues se vêtent de bric à brac et perdent de leur expression ; la ville perd de sa séduction. L’urbanisme est à cette image, les jardins font place au béton et le prix au m² prime sur la cohérence d’un ensemble qui engendre la cité. On oublie les minarets à l’andalouse pour d’improbables édifices dont la symbolique échappe. Un déficit esthétique, et des habitudes obsolètes telles que les rideaux de fer des magasins, réminiscence des « événements du pain » en 1984, que l’on abaisse le soir, ne donnent pas envie aux citadins de vivre leur ville. Pourquoi voudrait-on alors que des étrangers puissent l’apprécier ?

L’économie regarde vers l’Occident quand la tendance penche vers l’Orient. C’est de cet incroyable effort permanent, entre l’un et l’autre, que naît la difficulté et tout l’art d’être tunisien mais également la capacité de se réinventer en tant que tel. Le tourisme doit répondre à cette dichotomie pour avoir un produit cohérent à vendre. Tout tient, en partie, à une unité à laquelle semblent échapper les ensembles urbains; la cité, en pleine mue, devient insaisissable; de coquette ville méditerranéenne, elle devient  une métropole anonyme et ingérable. Pour aider le tourisme à surmonter sa crise, il faudrait sans doute guérir les villes de leurs maux. Le succès des parcours réhabilités de la Médina est la preuve que le premier consommateur de la Tunisie est le tunisien; les autres suivront dans la mesure où chaque citoyen devient alors un ambassadeur véhiculant une image cohérente de ce qui est bien plus qu’un produit ; un pays et une culture.


Frida Dahmani
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