Publié le 06-03-2018

Samir Dilou : Mon combat c’est d’essayer de changer la réalité

Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle est revenu sur le lent processus de transition tunisien et les défis de la coopération interméditerranéenne dans une interview publié par liberation.fr.



Samir Dilou : Mon combat c’est d’essayer de changer la réalité

A la question de Laure Broulard et Anne-Flavie Germain, étudiantes en journalisme à Sciences Po Aix-en-Provence  à propos de liberté d’expression et des medias pendant la transition, qu’est-ce qui a été fait et qu’est-ce qu'il reste à faire ?
 



Le changement essentiel n’est pas quantitatif : c’est un changement d’état d’esprit. Essayer de cacher les insuffisances ou les atteintes aux droits de l’Homme, ce n’est pas mon combat. Mon combat c’est d’essayer de changer la réalité. Le premier étant de juger la réalité à partir du terrain, et non sur les préjugés idéologiques, politiques ou partisans. La Tunisie n’est actuellement plus une dictature, elle n'est pas encore une démocratie, mais c’est un pays en transition vers la démocratie. Et même si on a recours à toute l’élite de la société civile, et qu’on la place à des postes de décision, cela ne changera pas la réalité du jour au lendemain.


Parce qu’il y a ce qu’on appelle l’état profond : les mentalités, les centres d’intérêt, une certaine vision de la justice, des medias, des forces de sécurité, etc. Il faut tenter d’assainir l’environnement juridique, doter les forces de sécurités de moyens adaptés pour ne pas recourir systématiquement à la violence et à la torture. Il y a des mesures pratiques à prendre dans l’immédiat (textes de loi), mais pour changer les mentalités on a souvent besoin de plusieurs années.


L’essentiel, c’est de donner les signaux inverses de ceux donnés auparavant. Auparavant c’était un message d’impunité total, dorénavant il faut faire entendre le contraire. Mais s’il est permis au citoyen ordinaire d’être impatient et d’attendre des résultats à court terme, ce n’est pas permis à l’élite de bonne foi.
 

Quant aux journalistes, leur devoir est de pointer les problèmes. Notamment dans les pays où il a une très longue tradition d’instrumentalisation des médias. Je suis de ceux qui disent que les gouvernements successifs, y compris les deux derniers gouvernements post-Ben Ali n’ont pas pris le problème correctement en ce qui concerne les medias. Nous aurions pu faire les choses différemment.


C’est donc difficile de gérer cette liberté d’expression dans ce contexte de tensions subsistantes…


C’est difficile, et beaucoup pensent que lorsqu’on a effectué une révolution, le plus difficile a été fait. Et c’est tout à fait le contraire. Le plus difficile reste à faire. La régulation n’est pas évidente dans le climat actuel ; il en est de même pour l’autorégulation. On peut tout mettre sur le dos des autorités, on a le droit, c’est la liberté d’expression. Mais parfois les journalistes eux même ne réussissent pas définir leurs propres limites.


Je crois qu’avec l’autorité de régulation que nous mettrons en place sous peu, qui s’apparentera à une autorité indépendante sur le modèle du CSA français, les choses vont s’améliorer. Mais il ne faut pas trop rêver, cela va demander du temps. Il ne faut pas que les Occidentaux pensent que ce qu’ils ont effectué en quelques décennies se fera sous d’autres cieux en quelques mois.


liberation.fr
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