Publié le 28-10-2021
Khaldoun Ben Salah, un vrai musicien qui se sentait mal en écoutant les Rahabani !
Terrassé par une pancréatite aigüe, Khaldoun Ben Salah, artiste musicien fut ravi aux siens un 28 octobre 2016.
L’ayant connu de très près, Dr Ouanes Khligène, professeur émérite de l’enseignement supérieur et l’un des meilleurs compositeurs de la musique tunisienne et arabe raconte que «Par un après midi glacial du mois de mars nous étions attablés bien au chaud dans un coin du local que nous fréquentions d’habitude. Khaldoun me fit deux confidences. La première: c’est qu’il se sentait mal en écoutant les œuvres des frères Rahabani (Assi et Mansour), à cause de leur négligence involontaire pour la partie basse. Ben Salah, un grand bassiste, avait bien raison et je suis de son avis. Vu que la plupart du temps, les frères Rahabani ont délaissé dans leurs œuvres, une écriture solide pour cette partie, au détriment de la belle mélodie pour la voix de Fairouz ; le tissage du piano, l’élégie du bandonéon et le timbre plaintif de quelques instruments à vent. Au cours de notre discussion, je lui ai dis que: heureusement que je t’ai écouté maintes fois jouer une émouvante partie de basse dans quelques pièces de musiciens tunisiens. Cette phrase était le déclenchement de sa deuxième confidence. Il m’a dit que: c’est lui qui invente sa basse à base d’une grille d’accords (gribouillis de notation musicale rudimentaire pour l’accompagnement) qu’on lui transcrit sur la partition. Khaldoun aimait énormément jouer de la basse. Il aimait le rythme. Il était devenu rythme. Il était un vrai musicien. Il vivait la musique. Il n’appartenait pas à ceux qui n’en possèdent que le titre.
Le silence magique
«Après quelques jours de notre rencontre et dans le même lieu,» se rappelle Dr Khligene «je lui ai montré la partition d’une de mes nouvelles compositions. C’est une œuvre où la basse joue un ostinato (modèle unique et répétitif) durant toute la pièce. En consultant la partition, il a inscrit en dessus de la partie basse, dans des endroits bien précis le terme Tacet (en latin: on se tait). C’était bien vrai. Car ces moments de silence sont magiques. Vu qu’en faisant taire pour quelques mesures une basse en ostinato dans des lieux bien précis de la pièce. La basse continue à jouer dans l’imagination de l’auditeur. C’est comme on ferme subitement les yeux, après avoir contemplé pendant longtemps un paysage. On le voit plus, mais le cerveau continue à le visionner à travers l’œil de l’esprit. Juste après cette suggestion originale de Ben Salah, j’ai senti, que je suis le potache de mon potache.(…)
Evoquant sa dernière rencontre avec le défunt, Ouanes Khligene écrivait que « mon coup de l’étrier avec Khaldoun, a eu lieu deux semaines avant son départ. Nous étions attablés en compagnie de presque une quinzaine de jeunes musiciens. Juste avant de déguerpir, j’ai fondu en larmes, ému par cette jeunesse qui regorge d’énergie, de songes et d’espoir. Mais que la plupart d’entre eux, laissent traîner un regard en faction devant un avenir indéterminé. Après un moment de silence, Khaldoun s’était exclamé en me disant une sentence en idiome tunisien presque intraduisible mais dont voici presque le sens: Lorsqu’on pleure, les larmes nous empêchent de voir les fleurs.»