Publié le 26-03-2023
Le désordre des Ordres
On entend toujours parler des ordres professionnels dans notre pays, le plus célèbre est l’Ordre des Avocats, son barreau et son doyen, montrés en tant que faiseurs de ministres et de députés.
Mais voilà, il y a, parmi les autres Ordres, celui des architectes. Son rôle est tellement méconnu que même la grande partie des architectes, le confondent avec un syndicat professionnel. L’Ordre des Architectes de la Tunisie a essentiellement le rôle de défendre l’Architecture et non les architectes. Par conséquent, l’aménagement urbain de nos villes, bourgs et villages, comme celui du territoire, sont de ses prérogatives, non comme un conseiller, mais en tant que décideur. Car, comment faire assumer un rôle à une profession si vous lui ôtez le soin de décider !
Cette confusion a été voulue en 1974 par une administration centralisatrice et liberticide autant que la plus chevronnée des administrations bolchéviques.
Il faut se remémorer l’époque et l’ambiance résidente de l’administration quand le texte fondateur de l’Ordre des Architectes a été mis bas.
La Tunisie, en 1974, est simple à résumer :
Bourguiba a eu son grave AVC et du coup, la guerre de succession fut ouverte. Entre autres, Hédi Nouira et Mohamed Sayeh. Ce dernier ayant été nommé ministre délégué auprès du premier ministère, avait un poste très influant, celui de directeur du Parti Socialiste Destourien, le PSD, un poste clé où ce jeune ambitieux a pu faire émerger ses griffes.
Mohamed Sayeh était juste avant ministre des Travaux publics en 1973, et en 1974 les barons de l’architecture avaient pu compter sur son soutien. Ce lobby de l’époque n'avait pas besoin d’un texte et n’était pas très regardant sur le contenu d’un texte qu’ils ont eux-mêmes proposé, mais qui n’était qu’une médiocre copie du texte organisant l’Ordres des Architectes de l’époque fasciste de Vichy qui bien sûr, se colle fondamentalement et parfaitement au dogme de Mohamed Sayeh : l’administration avant tout et l’administration après tout.
A nos jours rien ne s'est amélioré : l’administration s’est adjugée le droit de légiférer en plus de celui d’administrer, elle nous fait volontairement éloigner du rôle dont nous sommes les seuls responsables.
Pourtant l’image de la mission de l’Ordre des Architectes est simple à saisir. Dans une partie de pêche l’Ordre est appelé à protéger le poisson, alors que le syndicat est toujours du côté du pêcheur.
Pourquoi tant d’attention devrait être donné à l’Ordre des Architectes qui a pour mission l’aménagement du territoire ?
Selon Laurent Davezies, professeur au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) et expert indépendant dans le domaine de l'économie territoriale, attirer des entreprises sur un territoire n’est pas suffisant pour faire baisser son taux de chômage et voir augmenter les revenus de ses habitants. Le développement d’un territoire réside aussi dans sa capacité à capter tous les types de revenus et surtout à faire en sorte que ces revenus soient bien consommés sur le territoire. Une attirance qui se développe par un markéting territorial qui n’est pas une fin en soi, ni une recette magique pour des territoires en mal d'attractivité. C'est avant tout un état d'esprit qui consiste à bien connaître son territoire, mais aussi et surtout à penser clients & usages. En regardant son territoire comme un habitant, touriste, salarié, l’Ordre des Architectes offre une délégation à chaque région en Tunisie, ce qui est une des meilleures répartitions à l’échelle de la république.
Aujourd’hui, nous devons tous sauver ces corps intermédiaires qui ont à chaque jambe un boulet ; le premier étant cette administration, et le second, encore plus grave, est l’absence d’une vision stratégique envers ce pays.
On a tous cru qu’une fois le nouveau parlement installé, nous aurions droit à un discours de la cheftaine du gouvernement où elle présente ses lignes directives lors des prochaines années, surtout en ce qui nous concerne une politique de régionalisation ou un régime central avec cette administration qui met son nez partout où on aboutit à éliminer une partie importante des corps intermédiaires où Monsieur le président décide et l’administration est censée exécuter.
En démocratie le premier des droits d’un citoyen est de savoir où il va si ce n’est vers où il va être entrainé. On peut appeler cela un projet, une vision ou si vous voulez : un programme. En réalité, ces dénommés ne portent qu’un seul nom : idéologie.
Idéologie est cette conception chez certains et dogme pour la plupart, système d'idées générales constituant un corps de doctrine philosophique et politique à la base d'un comportement individuel ou collectif. Aujourd’hui, de ceci nous n’avons qu’un discours populiste, infertile et léthargique.
En réalité, nous ne pouvons qu’avoir deux politiques : une centrale et l’autre, décentralisée. L’Ordre des Architectes doit s’adapter à l’une comme à l’autre, mais ne jamais laisser une administration rétrograde et parfois corrompue se placer au sommet qui est la place naturelle des Ordres.
Ilyes Bellagha
Président de l’association Architectes…Citoyens