Publié le 18-04-2025

De la responsabilité de l’architecte dans l’exercice de son métier en Tunisie

Suite aux affaires à Sfax, le Kef, Kasserine,… L’architecte est bien plus qu’un simple dessinateur de plans. Il est au cœur de chaque projet, garant de sa cohérence, de sa qualité et de sa conformité



De la responsabilité de l’architecte dans l’exercice de son métier en Tunisie

Depuis l’étude de faisabilité jusqu’à la réception des travaux, il conçoit, coordonne, anticipe et veille à l’équilibre entre esthétique, technique, réglementation et usage. Il travaille en étroite collaboration avec les ingénieurs, les entreprises, le maître de l’ouvrage et les autorités locales. Il assure aussi le suivi du chantier, vérifie le respect des plans, du budget, des délais et des normes. Mais au-delà de la créativité, le métier engage de lourdes responsabilités.

Il est clair que l’architecte, après attachement, assure les décomptes, propose les règlements et supervise la réception provisoire, qui marque la fin du chantier. Il accompagne ensuite la réception définitive, qui clôt juridiquement le projet. Toutes ces étapes sont menées en coordination étroite avec l’équipe des concepteurs (ingénieurs, bureaux d’études…) et le maître de l’ouvrage, qu’il soit public ou privé. Il agit sur la base des données techniques et des validations fournies par ses partenaires. Il est responsable, oui, mais dans un cadre collectif, non individuel. Lui faire porter seul le poids d’une erreur relevant d’un mauvais calcul structurel ou d’une exécution déficiente, c’est ignorer la réalité complexe, technique et profondément collaborative de la chaîne de la construction.

La loi n°74-46, le décret n°83-1033, le Code des obligations et des contrats, ainsi que les lois n°86-4 et n°94-9 relatives à la responsabilité décennale dans le domaine de la construction, encadrent strictement cette responsabilité. Les textes stipulent notamment que tout constructeur (y compris l’architecte) est responsable des dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination pendant les dix années suivant la réception des travaux. L’architecte, s’il ne souscrit pas de police d’assurance professionnelle, engage alors l’ensemble de son patrimoine personnel. La responsabilité est donc claire, structurée, et des mécanismes existent pour sanctionner, réparer, arbitrer.

Mais lorsqu’il n’y a ni mise en danger des personnes, ni effondrement structurel, ni intention de nuire, l’arrestation ou la détention provisoire d’un architecte constitue — à notre humble avis — une mesure disproportionnée. Elle brise des carrières, déstabilise des familles et installe un climat d’insécurité juridique et morale dans l’ensemble de la profession. Elle met en péril la capacité d’action des architectes et mine la confiance dans un métier fondé sur l’engagement, la rigueur et le service à la collectivité.

L’Ordre des Architectes n’a pas vocation à interférer avec la justice, à laquelle nous faisons confiance. Mais il a la responsabilité, en tant qu’institution investie d’une mission de service public, de défendre l’exercice de la profession et de sensibiliser l’opinion comme les autorités aux réalités techniques, juridiques et humaines du métier. En l’attente de la création de juridictions spécialisées dans les contentieux du bâtiment, l’Ordre doit faire œuvre de pédagogie. Il est essentiel d’expliquer le rôle de l’architecte, ses responsabilités, les limites de son intervention, mais aussi les impacts de son travail sur la qualité du cadre de vie. L’architecte ne construit pas seul : il travaille dans un écosystème technique et réglementaire complexe, souvent contraint, mais toujours au service de l’intérêt général.

Notre profession est d’utilité publique parce qu’elle œuvre pour l’intérêt du cadre de vie, pour la sécurité, la durabilité et la cohésion urbaine. Elle est capable de se remettre en question, d’évoluer pour mieux répondre aux enjeux contemporains. Elle sait reconnaître ses limites, assumer ses erreurs et sanctionner, en son sein, les manquements à l’éthique et à la déontologie. Mais ce que nous ne pouvons accepter, c’est de laisser nos confrères payer, de leur réputation, de leur avenir, de leur liberté, le prix d’une incompréhension du métier.

Dans le cas des bâtiments civils relevant de la maîtrise d’ouvrage publique, il est fondamental de rappeler que l’administration porte elle aussi une part de responsabilité. Lorsque des malfaçons, des défauts d’exploitation ou une absence d’occupation des lieux résultent d’une mauvaise exécution ou d’une chaîne de décision défaillante, il lui incombe d’agir rapidement. Elle doit mobiliser tous les outils contractuels, techniques et juridiques à sa disposition pour corriger les erreurs, faire jouer les garanties et attribuer clairement les responsabilités. Laisser une situation se dégrader pendant des années, c’est non seulement aggraver les pathologies du bâtiment, mais aussi porter atteinte à la bonne gestion des deniers publics. Dans ces cas, les concepteurs en général — et l’architecte en particulier — ne doivent pas devenir les boucs émissaires d’un système qui n’a pas su assumer sa part.

L’intérêt général suppose que chacun prenne ses responsabilités dans la chaîne de production architecturale et urbaine. Il en va de la qualité de nos bâtiments, de la confiance dans les institutions et de la crédibilité de tout le secteur de la construction.

Par Sahby Gorgi



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